Jean-Marie LACRAMPE (1855-1917), architecte
Jean-Marie Lacrampe, architecte municipal de Lourdes de 1881 à 1917, a laissé son empreinte
sur nombre de bâtiments de notre ville, parmi les plus beaux. Cependant, il reste méconnu et
cet essai biographique s’appuie particulièrement sur deux petites notices : celle de Louis
Caddau en 1917 dans la Revue des Hautes-Pyrénées et celle du chanoine Courtin dans son
ouvrage Le domaine de la Grotte, 1947. Et sur le survol d’un document extraordinaire, légué par
les descendants de l’architecte à la ville de Lourdes : la copie de la correspondance de Jean-
Marie Lacrampe, de 1883 à 1901, un total de 2000 pages !
Né à Lourdes en 1855 dans une famille de petits commerçants, Jean-Marie Lacrampe est élève
de l’Ecole libre des Frères de Lourdes où, brillant élève, il se distingue par ses aptitudes au
dessin (Courtin). Vers l’âge de 16 ans, il entre en apprentissage auprès de « son premier maître
es-arts » (Caddau) : l’architecte Louis Soulas, qui deviendra en 1878 l’architecte municipal
d’Argelès-Gazost jusqu’à sa mort, en 1911. Puis le jeune Lacrampe monte à Paris. Courtin
indique qu’il « suit avec succès les cours des Beaux-arts », ce que ne confirme pas Caddau. Ce
dernier, par contre, souligne son apprentissage auprès de la prestigieuse agence de Paul
Selmersheim (1840-1916), architecte diocésain et architecte des Monuments historique de
Paris, et de l’agence Lemaire à Neuilly. L’apprentissage deviendra pour lui une notion centrale.
A l’âge de 20 ans (1875), il est appelé sous les drapeaux et se trouve affecté au 2ième Régiment
du Génie de Montpellier. Au cours d’une manœuvre de pont, il est victime d’un accident : il est
réformé (Caddau).
Il rentre à Lourdes et collabore au service de l’architecte Hippolyte Durand (1801–1881),
spécialiste de l’architecture médiévale. Durand est l’architecte de la basilique supérieure, cette
fameuse « chapelle » demandée par la Vierge à Bernadette Soubirous le 27 février 1858. Durand
est aussi l’architecte de la villa Eugénie à Biarritz et de l’éblouissant château de Monte-Cristo
(1847) à Port-Marly, la demeure rêvée de son propriétaire, Alexandre Dumas.
En 1879, âgé de 24 ans, Jean-Marie Lacrampe s’installe à son compte à Lourdes. Ainsi débute
une carrière prolifique qui dure 38 ans.
Jean-Marie Lacrampe est un architecte à cinq casquettes :
> Architecte municipal
Il est nommé architecte municipal en 1881 (26 ans) et le restera jusqu’à sa mort en 1917. Il
travaillera pour cinq maires tout au long de neuf mandats. Son travail consiste à accompagner
la construction du « nouveau Lourdes », c'est-à-dire le bouleversement urbain d’une petite ville
qui devient une cité internationale de pèlerinage. Il doit diriger des travaux de génie civil
(égouts), concevoir des grands monuments publics (école des garçons (1893), abattoirs, halle,
kiosque, agrandissement de l’école des filles et de l’hospice ; l’hôtel des Postes (1913-1957), en
passant par l’urbanisme (alignements des rues ; conflits cadastraux). Il réalise également en
1911 l’architecture des « bancs de la Grotte », ces magasins, concédés par bail, alignés sur un
terrain municipal. Bel exemple d’architecture commerciale.
Ayant bénéficié de l’apprentissage auprès de ses maîtres, il obtient de la mairie la création
d’une école de dessin et d’art décoratif, dont la mission est de former les tailleurs de pierre de
Lourdes (on en dénombre plus de 300 à Lourdes à la fin du XIXe siècle). L’idée est de leur
transmettre « l’art du dessin », conforme aux nouvelles techniques issues de la géométrie
descriptive de Monge. Les tailleurs de pierre lourdais n’oublieront pas les bienfaits prodigués
par Lacrampe à leur corporation.
> Architecte de l’Œuvre de la Grotte
En 1892, il devient le collaborateur de Léopold Hardy (1829-1894), l’architecte de la basilique du
Rosaire qui fut aussi l’architecte en chef des Exposition Universelle de Paris, en 1867 et 1878. À
sa mort, Lacrampe dirige la décoration intérieure de la basilique : mosaïques des treize
chapelles, mobilier intérieur : autels, ambons, etc. M. Simian, architecte de l’Œuvre de la Grotte
et premier adjoint de Hardy, décède à son tour ; Jean-Marie Lacrampe devient architecte de
l’Œuvre de la Grotte en 1894 et le restera jusqu’à sa mort. Il est le seul exemple de haut
responsable travaillant à la fois pour la commune et le sanctuaire de Lourdes. On lui doit
l’agrandissement de plusieurs bâtiments, l’aménagement de chutes d’eau sur le Gave, de la
première centrale électrique et de l’Imprimerie (1894-1895), aujourd’hui la librairie, le percement
du couloir central de la crypte (1903-1904), la constructions des deux clochetons pour le jubilé
du Cinquantenaire des Apparitions (1907-1908), la construction du nouvel Abri des pèlerins
(1911-1914), le passage souterrain entre la crypte et la maison des Chapelains, ainsi qu’une
nouvelle aile à cette dernière, la Pénitencerie.
Au cours de ces travaux, Jean-Marie Lacrampe, l’homme de la pierre de taille, n’hésite pas à
utiliser le béton armé, ce qui démontre son ouverture d’esprit ; il est vrai qu’il s’était déjà adapté
à l’architecture en fer avec les halles. La revue Le béton armé, créée en 1898 et vouée à
répandre les bienfaits de cette technique novatrice, pointe les réalisations de Lacrampe dans le
domaine du Sanctuaire, et ce dès 1902.
> Architecte des maisons religieuses de Lourdes
Il agrandit le Carmel de Lourdes et construit sa chapelle. Il achève le couvent des Sœurs Bleues
commencé par Simian. Il agrandit l’hôpital saint-Frai et construit l’école libre des garçons Saint-
Joseph. « J’en passe, écrit Caddau, car la liste serait interminable ».
> Architecte décorateur
Jean-Marie Lacrampe dessine beaucoup, comme l’atteste son courrier. Son travail au Rosaire
connait une certaine notoriété, notamment auprès des familles fortunées qui font des dons pour
l’accomplissement des travaux. Ainsi dessine-t-il un vitrail destiné à un hôtel particulier de
Neuilly ; ou des monuments funéraires destinés au cimetière de l’Egalité, pour de grandes
familles. Dans ce même cimetière, fin 2015, a été exhumé un monument oublié, le cénotaphe
belge, et qui pourtant, sur une plaque de bronze, porte la signature de l’architecte.
> Architecte civil
Il construit des hôtels somptueux. À Lourdes : l'hôtel Moderne, son chef d’œuvre, commandé
Benoite Soubirous née Toulet, figure typique de ces femmes qui construisirent Lourdes ; l’hôtel
Gallia et Londres ; l’hôtel Chapelle & Parc ; l’hôtel Beauséjour. À Cauterets, il bâtit l’hôtel du
Parc ; à Barèges, un autre qui restera inachevé.
Il travaille également pour une clientèle privée. Lacrampe est l’architecte des grands hôteliers
lourdais du début du XXe siècle : Benoite Soubirous lui fait construire la villa qui prendra le nom
de son gendre, la villa Roques, siège de l’actuelle mairie. Somptueuse villa construite en quatre
pierres de taille différentes, dans un subtil style néo Louis XIII, fidèle à l’éclectisme
architectural de l’époque. Jules Fourneau, propriétaire de l’hôtel d’Angleterre, lui commande sa
villa privée, aujourd’hui dénommé château de Soum. Ajoutons la villa Gazagne, et sa propre
résidence, 21 avenue de la Gare.
Enfin, Benjamin Dulau, président du Syndicat des Entrepreneurs de Travaux Publics de France,
lui commande son château, à Castandet (40), près d’Aire-sur-l’Adour. Pour Lacrampe, il s’agit
d’une sorte de consécration, car son architecture est ici « exportée » : le bâtiment est construit
en pierre de Lourdes, transportée par train jusqu’à Aire.
Bien secondé par l'architecte Seyrès, son neveu qui lui succèdera comme architecte municipal,
il est le formateur, de par ses fonctions de directeur de l'école de dessin en 1901, de nombreux
tailleurs de pierre qui ont fait la réputation de la ville. Tombé dans l’oubli pendant des
décennies, l'importance de l’œuvre architecturale de Jean-Marie Lacrampe apparaît évidente
aujourd’hui, alors que nous approchons du centenaire de sa mort.
Jean-Marie Lacrampe s’est marié en 1881 avec Jeanne Pérez, ils ont eu quatre enfants. Son fils
Adrien (1876-1965) est devenu sculpteur ; on lui doit la maquette sculptée de la grotte de
Massabielle qui servira pour la construction de la réplique dans les jardins du Vatican (1902),
ainsi que de nombreux chapiteaux de l’église paroissiale du Sacré-Cœur.
Jean-Marie Lacrampe est décédé à Lourdes, à l'hôtel de l'Univers, le 5 mars 1917, assisté de son
ami Eugène Duviau, archiviste de la ville. Le jour de son enterrement, dans l’église comble, tous
les vieux tailleurs de pierre pleuraient leur bienfaiteur.
Jean-François Labourie, archiviste de la Ville de Lourdes. 05/02/2016.
LIRE AUSSI : "L'ARCHITECTE HISTORIQUE DE LOURDES, JEAN-MARIE LACRAMPE",
par Michel SARRAT : http://ubac.eklablog.com/